Joli contraste avec la cote immobilière et les prix des maisons individuelles cossues d’aujourdhui, la rue Dupleix a commencé sa carrière très modestement, percée ouverte dans un quartier de misère. Un cloaque, selon les termes des hygiénistes.
Quartier de misère
Au XIXe, le quartier de la butte Ste-Anne loge des familles pauvres, souvent venues de basse-Bretagne chercher embauche comme dockers, ouvrier·es des chantiers navals, des conserveries voisines et de la raffinerie de sucre de Chantenay. Le quartier a des airs d’égouts à ciel ouvert, sans eau courante ni système de traitements des eaux usées. La puissance publique s’inquiète de la mouscaille et des questions d’hygiène. Les épidémies et l’insalubrité menacent la paix sociale et la sérénité sanitaire de la bourgeoisie et du patronat qui mènent la ville. La première moitié du XIXe, divers rapports témoignent des dangers qui ont noms dysentrie, typhoïde, cholera. Un médecin républicain et socialiste, Ange Guépin, publie en 1835 avec un autre toubib, Eugène Bonamy, un état des lieux local, fruit d’une enquête sociale qui décrit cette misère : « Nantes au XIXe, statistique topographique industrielle et morale ».
L’ordre hygiéniste
Il faut veiller sur les pauvres. Par charité, et esprit de bienfaisance (les oeuvres…), mais aussi par souci de paix sociale et pour l’assurance de disposer d’une main d’oeuvre corvéable, en état de travailler.
Le courant hygiéniste oriente l’urbanisme du quartier et l’action municipale. La percée de la rue Dupleix répond en 1899 à une volonté d’assainissement autant que de création de logements salubres. Le projet de bains et lavoirs municipaux est lancé la même année. Genre : services publics de proximité, dessiné par l’architecte communal Alfred Marchand, le tout inauguré en 1901. Les bains et lavoirs précèdent un programme coopératif de logement sur le trottoir d’en face, six maisons mitoyennes (du numéro 27 bis à 33 bis), lancé par la coopérative « La Maisonnette » regroupant ouvriers et employés. Porté par la Caisse d’épargne et de prévoyance, le premier HBM construit à Nantes (habitation à bon marché, l’ancêtre des HLM) propose 40 logements dans les deux immeubles du 26 rue Dupleix.
Services publics populaires
Le programme des bains et lavoirs municipaux est multiple : bains et douches pour le voisinage populaire ; fourniture d’eau chaude, d’emplacements pour laver le linge et de fil où l’étendre à sécher ; poste de prompts secours incendie ; cuisine et réfectoire pour les plus pauvres. Un concierge au rez-de-chaussée, des surveillants logés au 2e étage. L’hiver, le fourneau alimentaire propose 144 couverts par repas, dans la continuité du mouvement philanthropique des « fourneaux économiques » lancés à Nantes en 1856. Les bons pour ces repas à prix coûtant sont délivrés par la municipalité.
Au-dessus de cette cantine populaire, dix cabines de bains pour les femmes, dans des baignoires en cuivre étamé, et 25 cabines de « bains par aspersion » (des douches) pour les hommes. On s’y savonne jusqu’en 1978.
Au fil de l’eau chaude
Les lavandières triment ici tous les jours. Lavant le linge de la bourgeoisie, ces femmes au caractère bien trempé disposent de 37 emplacements et d’un séchoir en plein air, louant le fil à linge par tronçons de cinq mètres pour 24 heures. Elles louent un emplacement, baquet ou gargotte (Quinze centimes les deux premières heures, dix centimes les suivantes). L’eau chaude leur est fournie par la chaufferie dont le réservoir de 100 m³ est rempli toutes les nuits par le service d’eau. Une eau puisée en Loire à Doulon « à une distance qui met l’eau à l’abri de toute contamination » et stockée à Chantenay dans le réservoir de La Contrie. (L’embase métallique de la cheminée de la chaufferie est encore visible sous la verrière qui coiffe la salle associative renommée par le Claj « La Commune »).
Un rapport du régisseur des bains douches municipaux nantais écrit en 1914 souligne que le lavoir de la rue Dupleix est débordé : « Il n’y a jamais assez de place et les laveuses sont obligées d’attendre deux ou trois heures » un emplacement.
Bains de sommeil
Bombardé en 1943, le bâtiment est restauré et remis en service en 1952. Le service du lavoir est abandonné en 1966, celui des douches en 1978. Machines à laver, commerces des lavomatiques et salles de bains ont sonné le glas de ces services publics populaires.
En 1968, le gymnase Gravaud prend place dans la cour des étendoirs à linge du début du XXe siècle. La sueur s’impose à la mémoire du linge propore.
Chantier collectif
À partir de 1981, la partie ayant abrité le refectoire et l’étage des bains-douches deviennent des salles associatives municipales. Le Claj rachète en 2020 à la ville la partie du bâtiment qui accueillait chaufferie, citerne et logements des gardiens, et ne servait plus qu’à du stockage pour l’association du quartier. Après deux ans de travaux et pas mal de poussière avalée, le chantier collectif a pris la suite des artisans pour le gros œuvre. L’auberge, la colocation au 2e et la salle associative commencent leur aventure à partir de l’automne 2022.